L’addiction sexuelle au féminin reste encore taboue. À l’heure où la liberté des corps est revendiquée, comment faire la différence entre l’épanouissement sexuel et l’addiction ? Le point sur un trouble encore méconnu.
Dans la culture populaire, la masturbation, le porno, les addictions sexuelles sont associés implicitement à la sexualité masculine. De façon symptomatique, le mouvement #MeToo, qui a relancé le débat sur la probité des conduites sexuelles, a mis l’accent sur l’hypersexualité des hommes et sa toxicité, sans prendre en compte l’aspect féminin du problème.
Lorsque l’on évoque la notion d’addiction sexuelle, combien d’entre nous y associent spontanément l’image d’un homme ? C’est un fait, le sujet reste tabou chez la gent féminine, alors qu’il est plus facilement évoqué et identifié au masculin.
L’addiction sexuelle est une pathologie, à différencier de l’hypersexualité et des perversions. C’est une dépendance entre une personne et des comportements sexuels, normaux ou parfois déviants, mais qui ne se limite pas à une augmentation de fréquence sexuelle.
C’est le caractère compulsif, irrépressible, répété, envahissant, incontrôlable, quelles que soient les conséquences, qui en fait une addiction.
N’étaient jusqu’à présent reconnus comme maladie mentale par l’OMS que les comportements sexuels compulsifs. Bientôt, l’obsession sexuelle, en tant que trouble addictif, rejoindra la classification internationale des maladies. L’addiction sexuelle obéit à des mécanismes assez proches de l’addiction à des substances psycho-actives.
La sexualité pathologique existe depuis toujours. Jusqu’à présent, elle n’était pourtant pas spécifiée officiellement dans les classifications des maladies. Mais les choses sont en train de changer, puisque l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) va prochainement inclure, dans sa 11e classification internationale des maladies, le diagnostic du « trouble du comportement sexuel compulsif », basé sur des critères identiques à ceux proposés pour identifier une addiction sexuelle.
Comme pour d’autres types d’addictions, des spécialistes ont identifié différentes phases de cette pathologie : Les psychiatres nord-américains R.C Reed et D. Blaine ont proposé dans leur description nosologique un découpage du cycle de l’addiction sexuelle selon quatre temps.
- Obsession : parce que la personne a des difficultés existentielles qu’elle n’arrive pas à gérer, elle va focaliser son mental sur le sexe. Cet envahissement de la sphère psychique arrive en réponse.
- Ritualisation : cette idée de systémisation est toujours présente même si elle diffère en fonction des individus.
- Acte sexuel : pour obtenir un soulagement temporaire de la souffrance existentielle
- Désespoir : dû à l’incapacité à se contrôler = sentiment d’impuissance.
Puis on revient à la phase 1.
L’addiction sexuelle répond souvent à une souffrance morale, elle représente chez certaines personnes une façon d’apaiser le stress ou l’anxiété et se manifeste par :
- Des rapports sexuels fréquents ;
- Une masturbation compulsive ;
- Une instabilité relationnelle ;
- Un recours à la pornographie (magazines érotiques, fréquentation des boutiques spécialisées, consultation des sites Internet pornographiques, sexe payant, sexe par téléphone, cybersexe) ;
- Une séduction compulsive avec des partenaires multiples ;
- Une fixation compulsive, sur un ou des partenaires inaccessibles ;
- Des rapports compulsifs amoureux multiples, avec une insatisfaction des relations amoureuses et la quête perpétuelle de l’amour idéal ;
- Un besoin interminable d’actes sexuels, d’expression amoureuse et d’attention ;
- Une baisse des relations affectives de longue durée et relations émotionnelles (culpabilité concernant le partenaire, sentiment de dévalorisation, d’impuissance face à l’acte sexuel, honte).
Selon les études, les femmes touchées par la dépendance sexuelle instaurent constamment un jeu de séduction, qui traduit un manque d’estime de soi sur lequel travaillent les thérapeutes.
L’addiction sexuelle s’accompagne de souffrance dès lors que l’on n’obtient pas ce que l’on veut. Le sexe devient alors une condition sine qua non à l’équilibre de la personne. « Cette addiction se vit sur un mode compulsif. La sexualité est excessive, la plupart du temps coupée du lien affectif, avec du plaisir à la clé mais aussi des conséquences souvent négatives » précise le Pr Michel Reynaud, psychiatre et addictologue.
Habituellement, une femme qui a une dépendance sexuelle utilise l’acte sexuel comme une échappatoire, un moyen de fuir un malaise, un stress, une angoisse. La sexualité est donc utilisée comme une solution magique au même titre que l’alcool ou les drogues peuvent l’être pour un alcoolique ou un toxicomane.
L’addiction sexuelle peut survenir la quarantaine passée ou à la suite d’un divorce ou d’une rupture amoureuse. Le besoin de sentir le désir chez un homme et de se rassurer prend alors le pas sur le reste. C’est souvent une façon de se « récupérer » narcissiquement. La sexualité sans affect joue alors ce rôle.
Chez certaines femmes, la dépendance peut se manifester par l’utilisation de sex toys, et de partenaires d’une nuit. L’homme est alors traité comme un objet et il y a fort à parier que la frustration est souvent au rendez-vous.
Pour d’autres, la sexualité aide à « expier la faute » qu’elles estiment avoir par rapport à des traumatismes sexuels vécus pendant l’enfance. Elles ont une image tellement négative d’elles-mêmes, leur souffrance est tellement grande, qu’elles utilisent des comportements sexuels pathologiques (pornographie, clubs de rencontres, toxicomanie, alcool et sexe…) dans le but de se salir davantage, comme si elles ne méritaient que ça. C’est une punition qu’elles s’infligent. C’est une spécificité qu’on ne retrouve pas chez l’homme.
Tous ces comportements peuvent être lié à un sentiment d’insécurité affective, une intolérance à la frustration, un débordement émotionnel, une difficulté à la stabilité conjugale, un isolement affectif ou social (malgré ou à cause des sites et applis de rencontres), des troubles de la personnalité, à une dépression sous-jacente, à un trouble anxieux, etc.
Les causes peuvent parfois être d’ordre neurologique. On peut aussi retrouver un déséquilibre neuro-hormonal qui entraîne un désordre de dopamine, de sérotonine et de testostérone. Et on ne peut pas évincer l’existence d’un facteur génétique.
L’addiction sexuelle est également associée à des pathologies psychiatriques telles que trouble de l’humeur, trouble anxieux, trouble de la personnalité, ou trouble obsessionnel compulsif.
Les activités sexuelles compulsives engendrent des conséquences négatives telles des difficultés de couple, une rupture amoureuse, de la négligence des proches et des responsabilités, une perte d’emploi, etc.
La personne qui en souffre éprouve souvent de la honte, de la culpabilité et de l’impuissance, des pertes de sommeil, des troubles personnels, de l’énervement, de l’irritabilité. C’est un besoin violent que l’on doit satisfaire et qui n’est pas du tout épanouissant, autonomisant, qui ne construit pas une relation avec quelqu’un. Sans compter que cette dépendance se jumelle parfois à d’autres comme la consommation d’alcool et/ou de drogues.
Simultanément, les conséquences de l’addiction sexuelle sont similaires à celles retrouvées dans les autres types d’addiction. Il existe des risques d’infections sexuellement transmissibles liés à des rapports sexuels non protégés (VIH, chlamydias, gonococcie, syphilis…), des risques de grossesse non désirée.
Les femmes souffrantes d’addiction sexuelle peuvent également avoir des co-addictions au tabac, à l’alcool ou à des drogues illicites (par exemple, cocaïne, gamma-butyrolactone ou GBL, nouveaux produits de synthèse…). Le recours au chemsex doit aussi être recherché par le praticien lors de la consultation.
Avec des conséquences parfois dramatiques : Ce sont des personnes qui en subissent des conséquences sur le plan professionnel et privé.
La sexothérapie et/ou la psychothérapie constitue la façon la plus courante de traiter l’addiction sexuelle. Les traitements médicamenteux ne sont prescrits qu’en cas de dépression ou d’association à une maladie psychiatrique par un psychiatre dans ce cas.